jeudi 6 octobre 2011

Le chevalier noir 01

Le Chevalier Noir, chapitre premier : Les ombres du passé.
 (Voici le premier chapitre d'une saga qui ne connaitra malheureusement jamais de suite ... Je l'avais écrite sur un coin de table, pour ainsi-dire, à l'attention d'une amie aujourd'hui disparue. Je souhaite tout de même vous la faire partager.)


Notre histoire commencera là où finit une précédente ...
Au fin fond d'une forêt, dans un sombre cimetière, par une nuit sans nuage, dans un lieu oublié de tous et envahit par les mauvaises herbes.
Une haute et sombre silhouette s'avance parmi les pierres tombales, l'inconnu porte une grande soutane et un capuchon ; ne laissant rien apparaitre d'un éventuel corps humain.
S'asseyant près de la seule sépulture n'ayant pas été envahis par la végétation, il en caresse le marbre tout en chuchotant une bien étrange prière... D'une voix profonde, grave et froide ; comme le chuchotement du vent entre les arbres morts.

-"Je t'ai cherché... Et je t'ai trouvé. Je sens l'odeur de ta rancœur ... Je vois l'aura de ta hargne ... Je vois ta folie. Relèves toi, car mes yeux peuvent te voir tout entier et mes mains peuvent te saisir là où tu te trouve ; j'ai tous pouvoirs et peux ordonner ton retour depuis la tombe. Souhaites tu être le vengeur des morts ? Souhaites tu récolter leurs forces pour te relever et combattre ... ? Dévoile-moi ton passé et je te donnerais le passe-droit du destin."

La grande silhouette noire s'immobilisa soudain, interrompant sa voix basse et profonde qui résonnait contre les stèles alentour ; établissant un silence relatif, mais plus inquiétant encore. 
Les couleurs obscures de cette scène macabre s'effondrèrent sur elles-même, laissant place à un autre tableau aux couleurs plus vivantes, à un autre lieu, à un autre temps...

-"Le héros est mort ! Pleurez son destin braves gens ! Le héros est mort au combat pour nos vies !"

Le crieur public s'égosillait dans les rues pavées de la ville de Galadran, protégée par les hautes murailles du château, érigées par le grand Roi Eradius.
Sur le passage du crieur, les piétons se figeaient, les commerçants se taisaient et les enclumes ne raisonnaient même plus. Tout le monde, à l'ouïe de l'annonce funeste, semblait cessé de vivre pendant une fraction de seconde, comme pour rendre hommage à la mort du héros.
Le crieur accéléra le pas jusqu'à une grande estrade, normalement usitée pour les exécutions ; puis il y grimpa et annonça à tous, de sa voix la plus claire et forte.

-"Sir Uther Falkor, notre grand héros... Est mort ! Tombé sous les terribles assauts du dragon écarlate ! Gloire à son nom pour s'être sacrifié ! Et que les Dieux protègent ceux qu'il a échoué à protéger !
L'heure est grave, citoyens de Galadran ! L'appel aux héros est renouvelé !
Mais qui saura y répondre ? Qui pourra triompher là où le plus noble des paladins a échoué... ?"

Le crieur tomba à genoux et cacha son visage avec ses mains, semblant être en proie au désespoir.
La foule était partagée entre la tristesse, l'urgence, le désespoir et la colère ...
Dans ce chaos, une forge continuait de tourner, non loin de là.
Un apprenti, un jeune homme robuste, tenait un énorme marteau et s'affairait à battre une immense plaque de métal, assisté d'un vieux Nain encore robuste : cela était un des traits de caractère de la race, de par sa longévité.

-"Maitre, vous pensez que je pourrais devenir un héros ?"

Le coup de marteau du disciple retentit fort et clair, il continuait de frapper juste tout en parlant, ce qui était une marque de qualité dans le métier. Sa voix était tintée de passion et d'émerveillement.

-"Tss. Laiss' donc tomber c't'histoire gamin ! Si un grand guerrier comme Uther a pas pu occire le dragon, tu s'rais tout juste bon à servir de dessert."

Le maitre Nain continuait, lui aussi, à battre le métal.
L'immense plaque de métal chauffée au rouge, martelée par le maitre et son disciple ne laissait rien paraitre de l'usage qu'il en serait fait.

-"Mais maître, à quoi bon forger le marteau de sir Uther, les lames de sir Kartaj ou la hache du Seigneur Garoma ; si c'est pour qu'ils partent se faire tuer ? Je voudrais tenir ma propre épée, et venger le peuple de ces pillages et de ces massacres ... Tout ça à cause de ce fichu Dragon qui décida d'élire domicile dans les montagnes !"

Le maitre forgeron, entre deux coups de marteau, arracha un morceau de cuir de son tablier avec les dents et le recracha avec grande force vers son apprenti.
Celui-ci le reçut en plein front.

-"AÏE ! Maitre ! ça fait mal ! Je vais avoir une bosse ! Comment faites-vous pour faire aussi mal de la sorte ?"

Il aurait voulu protester d'avantage, mais s'il se déconcentrait et ratait un seul de ses coups de marteau, il lui arriverait bien pire.

-"Imbécile... N'plaisante donc pas avec les morts ! Surtout pas les héros..."

Le Nain, qui avait parlé d'abord d'un air sombre, se reprit d'un coup et ajouta :

"C'est comm'ça qu'on ça qu'on punit les apprentis désobéissants chez les Nains d'la montagne ! On sait l'quel est têtue et l'quel l'est pas en regardant le tablier du maître ! Et le mien ne m'offrira bientôt plus aucune protection si tu continus à faire le pitre !"

Le disciple sourit. Il adorait son maitre et lui devait beaucoup.
Mais aujourd'hui, il n'était plus un bébé abandonné sur le palier d'une porte, il était un grand jeune homme aux cheveux long et noirs, noués en queue de cheval. Il avait même laissé pousser un bouc sur son menton, histoire de respecter la tradition naine : avoir une barbe.
Il fut tiré de ses pensées par son maitre :

-"Tu sais, Armand, de cette lame que nous forgeons dépend surement la liberté du peuple de cette cité. Le Roi nous a demandé une épée capable d'occire un dragon d'un seul coup ! Elle sera donnée au prochain héros qui aura l'courage de défier la bête dans son antre. Alors mets-y tout ton cœur, et tu participeras un peu à la gloire du héros. Ça d'vrait t'suffire !"

Armand sourit à son maitre. Il était très doué pour le réconforter et pour lui parler en général ; les Nains avaient ce point fort dans leur culture d'aller droit au but.

-"Maitre Dwarolf, vous avez bien parlé ! Continuons et demain, nous aurons surement fini !"

Le Nain sourit à son tour.

-"J'suis fier de toi mon ptit, mais que ça n'te monte pas aux esgourdes ! J'te ferais pas de traitement de faveur !"

Le disciple et le maitre continuaient à travailler, ignorant le chahut du centre-ville tout proche, les gens rassemblés au pied de l'estrade semblaient en proie à la panique.
Lorsque soudain, on entendit un rire... Un rire profond, malsain, presque discret.
Ce rire envahissait cependant de son écho chaque mur de la ville. Chacun, alors, se tourna vers l'estrade ; Armand et Dwarolf eux-mêmes tournèrent la tête, mais sans cesser de frapper le fer, afin de ne pas gâcher des journées de travail.
Le petit rire se transforma alors en éclat hystérique.
Le crieur public se releva et tous virent l'hilarité de son visage.
Il s'inclina alors devant l'assemblée de manière bien ironique, puis la terre se mit à trembler... Le public se figea et se paralysa d'horreur. L'ombre du crieur s'étendit alors... Et quand il se redressa, il ressemblait bien plus à une bête qu'à un homme. Un rugissement terrifiant sortit alors de sa bouche, faisant hurler et fuir les personnes présentent, son corps se tordit et changea de forme ; en quelques secondes, la terreur de feu et de sang, le Dragon écarlate en personne se tenait sur les miettes de l'estrade ayant cédée sous son poids. Sans doute avait usé d'un quelconque sortilège impie afin de prendre forme humaine.

-"Oui... ! Paniquez, mortels ! Courrez en tout sens pour essayer de fuir l'ombre de mes ailes ! Hahahaha !"

Nos deux forgerons avaient cessé de battre le fer de l'épée géante.
Le Nain attrapa son apprenti par le bras et le tint fermement derrière lui. Puis, lorsque le maitre reconnue le dragon, il se tourna vers son disciple.

-"Gamin, t'es comme un fils pour moi et j'veux pas qu'tu sois bouloté par c'te bête!
Fuis ! Je te confie le titre de maître forgeron, tu trouveras ta lettre de recommandation dans mon tablier. Maint'nant parts le plus loin possible de c'te ville maudite!"

Le Nain sortit alors une vieille armure de sous son établis et l'enfila.
Puis il se saisit d'un grand marteau de guerre ... Son attirail était blasonné d'un sceaux royal de son peuple. Le passé du maître était obscure, mais Armand n'avait jamais posé de questions... Il tendit le bras pour essayer de le retenir.

-"Non ! Maitre, qu'est-ce que vous racontez ? On va fuir ensemble et on reviendra combattre ce monstre avec la Pourfendeuse Draconique ! Alors, ne dites pas de bêtises !"


La voix du jeune homme tremblait, elle était sans grande conviction.
Les yeux lui piquaient.
Le Nain le toisa d'un regard sévère, s'esquivant de la portée du jeune-homme :

-"Ah ! Alors tu lui avais déjà trouvé un nom ? Tu sais bien qu'ça porte malheur de dire le nom d'une épée avant qu'elle soit fini de forger !"

La dérision dans une situation critique ; une qualité purement naine...
Mais le maitre reprit vite son sérieux, puis il retira son tablier par-dessous son armure et le jeta sur Armand.

"Fils... C'est comm'ça qu'un maitre forgeron sacre son apprenti et se retire du métier ! T'es jeune, tu peux partir, t'as un avenir... et tu n'me dois plus rien !"

Le dragon écarlate, à grands renforts de hurlements et de jets de flammes, continuait de semer le chaos sur la place centrale. Il avait déjà tué et dévoré cinq gardes.
Dwarolf brandit son marteau et, sans se retourner, partit à l'assaut du dragon comme seuls les nains savent le faire: à toute vitesse et en poussant un cri guerrier audible par tous sur le champ de bataille.
Armand était resté coi. Il n'avait pas encore pleinement assimilé la teneur de la situation, tout cela se passait trop vite. Dans les comptes épiques, les chevaliers partent vaincre le dragons dans une caverne, la lute est violente mais les armes sont tenues au clair, la bannière flotte et le dragon est défait en quelques coups de lances... Mais la réalité est odieusement plus cruelle.
Plus loin, Dwarolf tournait autour du dragon en roulant pour éviter les flammes, levant son marteau et frappant les pattes du monstre ; mais sans jamais ne serait-ce qu'entamer ses écailles.
Lorsque soudain, par mégarde, le nain se trouva projeté dans un mur de la forge, ayant subi un coup de queue du dragon. Dans un fracas de métal et de pierres qui s'écroulent, le mur s'affaissa. L'apprentie courut alors vers l'endroit ou son maitre avait atterri et le tira des décombres.
Mais trop tard... Le Nain était mort, un énorme éclat de pierre enfoncée dans la poitrine ; ses organes avait été broyé et son sang se répandait dans les décombres...
Alors quoi ? C'était tout ? Armand tomba à genoux.
Il n'aura même pas eu droit à la dernière conversation du disciple avec son maitre, avant que ce dernier ne meurt ? C'était déjà fini ?

-"Pourquoi... ?"

Le monde d'Armand fut réduit en miette. La vie n'était pas un conte pour enfant, la vie était cruelle et vicieuse. Et seule la force et la combativité pouvaient l'adoucir. Cette idée venait de le frapper avec une certaine violence.
Le seul forgeron qui restait encore vivant prit le marteau de son maitre défunt, replaça les pierres des décombres sur son corps et planta le manche de l'arme de Dwarolf au sommet des gravas.
Quelle tombe lamentable... Mais c'est tout ce que pouvait faire Armand pour honorer son maitre une dernière fois.
Le dragon écarlate ne tarderait pas à le repérer et à venir le dévorer, il n'y aurait bientôt plus de gardes ni de citoyens affolé pour attirer son attention.
Armand n'avait plus grand-chose à y perdre maintenant...
Et avant que la peur ou la folie ne s'emparent de lui, il devait se reprendre en mains.
Il courut vers la forge et saisit la Pourfendeuse Draconique ; même si le manche encore brûlant lui fit fondre la peau des mains, il la tint fermement, les larmes aux yeux.
Armand se précipita sur la grande place, arrivant à peine à soulever l'immense épée. Même si sa force, sa musculature de forgeron et sa connaissance de l'arme lui donnaient un certain avantage.
Une fois arrivé devant le dragon, il ramena son épée devant lui et cria.

-"Hééé ! Lézard félon ! Lâche ! Tu ne t'en prendrais pas à quelqu'un de ta taille pas vrais ? Tu es bien trop couard ! La honte soit sur toi !"

Le dragon se figea, ses écailles frémirent de colère, ses ailes se déployèrent et, après un grondement intimidant, il s'écria :

-"Pauvre mortel ! Tes paroles irrespectueuses et impertinentes vont te couter bien plus que la vie ! Je te ferais souffrir !"

Un énorme flot de flammes arriva sur Armand, celui-ci eu le réflexe de planter son épée dans le sol et de se cacher derrière elle.
Mais son bras gauche fut touché par les flammes et Armand hurla de douleur.
Les flammes rampaient sous sa peau et le consumait de l'intérieur : la chaleur de l'épée, chauffée par les flammes, lui brûlât la chair du dos.
Il se remit quand même debout, en serrant les dents comme jamais et reprit son épée de sa main droite ; il ne voulait pas mourir sans avoir exécuté sa vengeance.
Il se fit violence pour afficher un sourire moqueur, il ne voulait pas faire cet ultime plaisir au dragon que de le laisser penser qu'il souffrait de ses flammes.

-"Hahaha ! ... Pauvre dragon misérable, tu me fais bien rire ! C'est tout ce dont tu es capable ? Tu fais bien de t'attaquer à de pauvres villageois, parce que tu n'es qu'un faible... et un lâche !"

Armand leva son épée et se pencha en avant pour partir à l'attaque, mais soudain, il sentit une étreinte sur son corps. Le dragon l'avait attrapé de sa patte avant et le serrait afin de lui broyer les cotes, ce qu'il parvint à faire avec une consternante facilité. Le jeune-homme n'était pas un guerrier, son attitude provocante et sa hargne ne serraient jamais suffisant pour battre un dragon aux pouvoirs magique si terrifiants.
Le jeune forgeron hurla à nouveau, sous la poigne du saurien, du sang sortait par sa bouche ; ses organes internes devaient être dans un sale état.
Le dragon ramena sa victime devant ses yeux et l'observa, retrouvant étrangement son calme.

-"Toi... Petit être si insignifiant, tu devrais avoir peur, ton visage ne devrait pas sourire... Je t'ordonne de souffrir !"

Armand avait mis toutes ses forces à conserver son sourire, il serrait les dents si fort que ses gencives commençait à saigner.
Il tenait toujours aussi fermement son épée. L'iris de l’œil reptilien s'était grand ouvert ; comme pour examiner le jeune homme d'un air curieux.

-"Tu n'auras jamais ce plaisir ... horrible Saurien ... Je vais perdre la vie, mais je t'aurais empêché d'accomplir ton caprice sadique ..."

Il brandit haut la gigantesque lame et mit toutes ses dernières forces dans un grand coup ascendant en direction de l’œil gauche du dragon ; il sentit ses muscles se déchirer sous l'effort.

"Je te présente la Pourfendeuse Draconique, espèce d'enfoiré !"

Le monstre fut touché à l'arcade sourcilière, il poussa un cri de douleur déchirant. Mais l'épée échappa des mains d'Armand et alla s'écraser au sol plus loin. Il souriait toujours et il mourut avec ce sourire... Dans un bruit guttural étranglé, les pupilles révulsées, succombant à ses terribles blessures internes. Le dragon semblait furieux.

"Ma vengeance ..."

Le décor se brisa, se décomposant en morceaux telle un vitrail soufflé par une explosion. Le village, le dragon, Armand et Dwarolf... Tout ceci s'en retourna au néant du passé...
La haute silhouette noire en soutane se défigea, retira ses doigts de la pierre tombale et se redressa. Puis, semblant se remettre d'une terrible épreuve, il croisa les bras et dit à voix basse :

-"Oh oui ... Tu es sans doute le plus méritant de tous ici ... Il te reste tant à accomplir."

Le regard de la silhouette vagabonda sur chacune des autres tombes, puis il hocha finalement la tête, lentement.

"Je te choisis pour être le champion des morts, le courroux des cendres ...
Le chevalier noir."

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