[Synopsis : Les runes font partit d'un ancien
alphabet nordique appelé Futhark. Chaque rune est un symbole, représente
une idée ou une notion et possède sa propre personnalité. Dans la
littérature fantastique, elles sont souvent utilisées pour marquer des
activité magiques. Mais ceci, comparé à leur réel potentiel littéraire,
est une sous-utilisation des runes dans le récit.
J'ai donc pris
l'initiative de créer un monde persistant dans lequel évolueraient
vingt-quatre personnages différents ; chacun représentant et portant le
nom d'une rune. Dans ce but, j'ai longtemps étudié les significations et
l'histoire des runes afin d'en tirer tout le jus et de créer un
personnage pour chacune d'elles. L'histoire qui prend place ici
est celle de la rune Feoh : l'étincelle primordiale. Elle raconte les
aventures d'un jeune garçon qui n'aura de cesse de s'épanouir dans
l'enceinte du territoire dont il est le comte, brisant un jour ces
frontières afin de devenir un homme et de conquérir le monde. Mais avant
cela, il devra affronter le passé de son propre père et purifier son
âme afin de renaitre.
Je posterais le récit qui concerne ce
premier personnage par petits bouts afin que vous puissiez pleinement le savourer.]
(/!\ Attention /!\ : Je
ne ferais preuve d'aucune auto-censure et décrirais, au même titre que
toute autre action et si le scénario m'y conduit, les scènes à caractère
sexuel, sadique, violent, gore ou glauque. Âmes sensibles s'abstenir
donc, ne serait-ce que par précaution.
Cela-dit, dans ma grande
mansuétude, je préciserais à chaque nouveau poste ci celui-ci contient
ou non des scènes potentiellement choquantes.)
Féoh partie I
(Probabilités de choquer les âmes sensibles : Aucune)
-"Toute
chose possède un commencement. Le plus puissant des guerriers a un jour
tété le sein de sa mère, le plus imposant des châteaux à un jour
commencé entant que simple première pierre posée sur le sol nu ... Tous,
nous devons rester humble, car ce que nous possédons a forcément été un
jour durement acquis par ... Monsieur le comte, m'écoutez-vous
seulement ? !"
Quelque-part dans le royaume de Vectoria, plus
précisément au comté de Primoré, les pierres grises d'un grand château
baignent dans le soleil de midi. Tout autour, la vallée s'étend
jusqu'aux montagnes qui l'encerclent. La construction humaine est comme
protégée par une main titanesque dont la paume serait une terre
verdoyante et dont les doigts seraient de grands massifs rocheux.
Notre
histoire débute à l'intérieur du château, au sommet d'une grande tour,
dans une pièce peu et simplement meublée. Une grande étagère de bois,
cerclée d'acier pour être plus robuste, contient quelques centaines
d'ouvrages traitant de sujet divers. Un petit bureau, fait du même bois,
est collé contre le mûr juste à côté de la fenêtre. Celle-ci est l'une
des plus larges de tout le bâtiment et est orientée plein sud, de
manière à capter toute la lumière que peut offrir le soleil tout au long
de la journée. Un grand fauteuil à dorures, finement taillé et
matelassé de plumes d'oies fourrées dans des soieries pourpres, trône
dans le coin le plus sombre de la pièce. Une fine moquette brune couvre
le sol.
Un homme grand et sec, vêtu simplement d'une toge blanche,
observe avec sévérité le jeune-homme assis derrière le bureau sur un
inconfortable tabouret à trois pieds. Le professeur possèdes de fines
lèvres qui ont toujours l'air d'être pincées, des traits taillés à la
serpe, un nez en bec d'aigle et de petits yeux jaunes auxquels rien
n'échappe. Le jaune serait une couleur bien étrange pour un être humain ;
mais elle témoigne ici de l'origine du professeur : un faunomor venu
tout droit des Tropisles, ayant réalisé son rêve d'instruire les plus
nobles gens du royaume Vectorien. Il est à la fois un homme et à la fois
un faucon. Il possède chacune de ces deux natures en lui et peut
prendre l'apparence tantôt de l'une et tantôt de l'autre ; ce qui ne
faisait que rajouter à l'exotisme qu'il dégageait, avec sa peau
naturellement bronzée et ses yeux brillants. Il laissa échapper un bref
soupire et reprit immédiatement la parole.
-"Votre instruction
passe avant toutes choses, monsieur le comte. Votre jeune âge se doit
d'être compensé par un esprit discipliné et riche. Veuillez donc prêter
attention à la leçon quelques minutes, avant que nous descendions
déjeuner."
Le jeune-homme affalé sur le tabouret soupira à son
tour, plus longuement, puis se pencha pour tenter d'observer le paysage
par la fenêtre. Il avait une coupe au bol typique des jeunes nobles,
taillée dans des cheveux blonds et bien propres. Ses yeux bleus clairs
étaient grands ouverts à la nature qui s'étendait au-dehors, et ses
lèvres généreuses et roses semblaient faites pour prononcer les plus
belles phrases. Il n'était pas bien grand et n'était âgée que de treize
ans ; ni bien en chair ni chétif, il représentait à la perfection
l'image typique du jeune-homme en bonne santé et plein de vie. Mais il
se distinguait des autres par sa soif de tout et son gout pour les
sensations nouvelles, comme s'il avait eu peur que sa vie soit trop
courte pour pouvoir tout expérimenter.
-"Edward, je vous en prie
... Le soleil brille si merveilleusement et le jardin semble si
agréable ! Plutôt qu'une leçon, j'aimerais que vous m'emmeniez nous y
promener tandis que vous me raconteriez ce que l'on ressent lorsqu'on
plane dans le ciel ... Que vous me racontiez l'exotisme des Tropisles !"
Le
jeune-homme en eu assez de se pencher pour voir au-dehors et quitta
finalement son tabouret pour s'accouder au rebord de la fenêtre. Il
sourit tandis que ses cheveux dansaient sous la brise légère qui souffle
habituellement au sommet des tours du château : le décor qui s'offrait à
sa vue était rempli à lui seul de toutes les promesses du monde.
L'immense océan de verdure mêlait diverses herbes et buissons ; parfois
agrémenté de quelques arbres, le tout parcourût par un grand chemin de
terre passant devant le château et qui continuait jusqu'au-delà des
montagnes. Un petit cours d'eau serpentait depuis une lointaine colline
et venait se jeter dans le petit lac à côté duquel les jardins avaient
été créés, le tableau était des plus magnifiques.
-"Monsieur le
comte, pourquoi ne pas prêter attention à mes leçons ? Elles aussi sont
riches en expériences et en histoires ; elle auront de plus le mérite de
vous servir ! Et je vous l'ai dit à maintes reprises, les Tropisles ne
sont pas un endroit pour les gens à responsabilités : vous n'aurez
jamais à y mettre les pieds, alors à quoi bon vous raconter ce qui s'y
trouve ? De plus, les humains ne volent pas, alors cessez de poser vos
questions divagatrices ..."
Le professeur referma le lourd
ouvrage qu'il tenait ouvert depuis bientôt une heure et le rangea
soigneusement sur l'étagère. Son regard habituellement étroit et acéré
s'était quelques-peu adoucit, puis il prit une longue inspiration avant
de soupirer à nouveau brièvement. Il passa une main dans ses cheveux
coupés très court et toussota. Le jeune comte prit alors la parole, se
retournant vers son professeur avec un regard affichant une certaine
déception.
-"Tout ce qui ne sort pas de vos livres vous
semblerait-il donc trivial ? Je pourrais en ma qualité de comte vous
donner l'ordre de m'épargner vos leçons et de me dire uniquement ce que
je souhaite entendre ; mais je n'en fais rien car je sais l'importance
de l'éducation. De plus, je vous estime entant qu'ami et espère
sincèrement partager un jour avec vous quelques ... Trivialités, comme
vous semblez les considérer. Et voler est le rêve de tout homme, nul ne
pourrait refuser un tel don ..."
Le jeune comte baissa les yeux,
peu convaincu de parvenir à faire entendre à son professeur à quel point
il avait soif d'aventures. Il aimait se sentir comme un nouveau né qui
arrive dans un monde qu'il ne connait pas encore et qui ne demande qu'à
être exploré ; il aimait les premières fois, les grands moments et les
premiers pas. Tout était plus délicieux lorsqu'on le découvrait à peine :
la première fois que l'on mange du chocolat n'est pas comparable à la
centième fois. De plus, sans un premier pas, il est impossible de
voyager, impossible d'avancer. L'idée d'immobilisme effrayait le
jeune-homme. Son professeur affichait désormais un visage qu'il n'avait
jamais montré jusque la : une expression désolée, comme s'il venait de
réaliser à quel point son entêtement faisait de la peine à son élève. Il
s'approcha de quelques pas et posa une main affectueuse sur l'épaule du
jeune comte, avant de dire sûr un ton calme :
-"Allons manger, et seulement ensuite nous irons prendre le thé dans le jardin ..."
Relevant
la tête, le jeune-homme révéla un sourire joyeux, comme s'il venait
d'apprendre la plus merveilleuse des nouvelles ; car il avait bien
compris ce que son professeur venait tacitement de lui promettre. Pour
la première fois, il l'entendrait parler d'histoires vraiment
merveilleuses et palpitantes ; il aurait enfin l'occasion d'en apprendre
davantage sur Edward et son passé, ce dont il rêvait secrètement depuis
bien longtemps. Il adressa un sourire plein de gratitude au faunomor et
se dirigea vers la porte, poussant le lourd battant afin de rejoindre
le couloir qui donnait sur les escaliers.
Pendant ce temps, le professeur soupirait à nouveau. Il cligna longuement des yeux
et murmura doucement, la tête baissée :
-"Ma mission est des plus
difficiles ... Le destin du jeune Féoh semble l'appeler au-delà des
montagnes ... Sera-t-il vraiment un grand comte un jour ?"
Sur
ces sages paroles réservées à lui-même, il écarta les bras d'un
mouvement naturel et changea de forme. Ses bras se plièrent pour devenir
des ailes, ses jambes devinrent des serres et son corps se couvrit de
plumes, rétrécissant à toute vitesse. Un faucon était désormais perché
sur le rebord de la grande fenêtre ; une toge vide gisait sur le sol.
Sous sa forme animale, le professeur étendit alors ses ailes et s'élança
dans le vide sous la grande tour du château : il fonçait vers le sol à
une vitesse spectaculaire, conservant malgré tout un flegme routinier.
Arrivé à mi-chemin du sol, il courba légèrement ses ailes et sa queue
selon un angle précis, modifiant sa trajectoire pour décrire un immense
arc de cercle autour du château, le transportant directement de l'aile
sud à l'aile ouest. Il atterrit alors sur une petite terrasse aménagée
près des cuisines ; deux serviteurs se précipitèrent à sa rencontre dès
qu'ils l'eurent aperçu, l'un d'eux tenant une grande toge blanche entre
ses bras.
Ils étendirent alors le vêtement au-dessus du faucon
tandis que celui-ci prenait forme humaine : il ajusta le tissu autour de
ses épaules et remercia les personnes venues l'assister. Il passa
machinalement une main dans ses cheveux et traversa la cuisine pour se
rendre dans la salle à manger. En parcourant ce court chemin, il se
demanda ce à quoi son jeune élève pouvait bien rêver au sujet du vol :
certes, il était bien plus pratique de voler que de marcher, mais il ne
comprenait pas que l'on puisse s'en obséder autant. Il haussa finalement
les épaules en s'asseyant à la grande table à manger. Habituellement,
les comtes y accueillaient leurs amis, leur famille ou leurs invités.
Mais malgré toutes ses richesses matérielles, Féoh, le jeune comte, ne
possédait pas un tel luxe. Il avait été nommé comte à la mort de son
père récemment, sa mère était morte en couche et il n'avait presque
jamais côtoyé d'autres enfants. Edward se posait souvent la question de
savoir comment le jeune-homme faisait pour déborder autant de vie alors
qu'il avait tout pour être malheureux.